[Mai 1968: commencer au début]
Les évènements de mai 1958 m’avaient beaucoup amusé. Comme j’étais, à l’époque, très partisan de l’Algérie Française, j’avais vu d’un très bon oeil des militaires s’opposer avec le concours enthousiaste de la population d’Alger à ce qui semblait bien être une politique d’abandon. Il était évident, même pour un gamin de 14 ans, que le gouvernement français ne faisait pas ce qu’il fallait. Personne n’était dupe des artifices de langage, façon « opérations de maintien de l’ordre ». On voyait bien que, depuis quatre ans, la France lâchait peu à peu du lest devant le F.L.N.. On savait bien qu’il y avait des combats. On savait bien qu’il y avait des tués. Et on commençait à se demander à quoi cela allait servir si c’était, au final, pour abandonner l’Algérie.
On a dit, après coup, que Massu et Salan avaient préparé un coup d’état. Je ne m’en étais pas rendu compte. Peut-être la longueur et le ton des émissions d’information à la radio m’avaient un peu fait dresser l’oreille. Mais, en vérité, je voyais l’affaire comme circonscrite à Alger, je ne pensais pas à des retombées en Métropole. Je voyais d’un bon oeil que s’installe en Algérie un pouvoir fort, décidé à mater la rébellion et à mettre en place l’Algérie Française. La venue du Général de Gaulle comme Premier Ministre m’apparaissait comme un cheveu sur la soupe. Mais bon, il avait eu ces mots superbes, « je vous ai compris ». Et comme beaucoup d’autres, je ne soupçonnais pas que les Pieds Noirs allaient se faire rouler dans la farine et que quatre ans plus tard, le même, liquiderait la question.
Pendant quelques années, j’ai assez bien supporté le régime Gaulliste. Mes conflits d’adolescents m’opposaient à ma famille et non à la société toute entière. Mais, les 20 ans venus, je ressentis tout autre chose. La Cinquième République était une république où on ne rigolait pas. L’information était contrôlée, voire censurée. La libéralisation des moeurs, telle qu’on la connaissait en Grande Bretagne ou au Benelux n’entrait pas en France. Le souvenir le plus fort de cette pesanteur concerne la vie sexuelle. A l’âge que j’avais, vivant une relation amoureuse forte et stable, la question de la contraception était, naturellement, importante. La libéralisation en Grande Bretagne et au Benelux n’avait pas affecté la gouvernance française. Sans parler de l’avortement qu’on savait sauvage pour les pauvres ou expatrié pour les plus aisés. On allait consulter des gynécologues qui vous prescrivaient des diaphragmes et des gelées spermicides qu’on commandait par la poste en Angleterre en priant le ciel que la douane n’aille pas y mettre… son nez.
L’image que j’ai encore du monde Gaullien est celle d’acteurs de la vie publique sévères, voire sinistres, vêtus de vestes et de pantalons sombres. Le ténébreux Préfet de Police, Maurice Papon. Roger Frey et Christian Fouchet, ministres de l’intérieur: des hommes sans joie. C’est tellement lourd que je me prends à regretter que l’attentat du Petit Clamart ait échoué. Quand ils guillotinent Bastien Thiry, j’écris un texte violent contre la peine de mort.
Le couvercle de la marmite Gaullienne pesait fort sur la jeunesse dont je faisais partie. Les libertés étaient limités. Le pourvoir contrôlait tout. La télévision était aux ordres. Des films étaient interdits. Les manifestations ouvrières paraissaient hors la loi tant elles étaient policièrement encadrées. Et puis, il y avait eu cette manifestation du F.L.N. du 17 octobre 1961 qui s’était soldée par des dizaines, voire des centaines de victimes. Et comme, en plus, la presse n’en disait presque rien, nous fîmes rapidement une analogie, sans un peu sommaire, mais bien compréhensible, entre le Nazisme et ces pratiques. Et puis il y eut Charonne. Le 7 février 1962. Là aussi, Papon donne l’ordre de réprimer la manifestation et ce fut le massacre que l’on sait (pour des détails, cliquer ici ).
Un peu d’exutoire vient de la culture: C’est Jean Vilar et le T.N.P.. C’est la rencontre avec la poésie (Liberté), avec Aragon. C’est Jean Ferrat. Et Brel, bien qu’il ne soit pas engagé de la même façon. Et naturellement Georges Brassens avec une prémonitoire description du marché de Brive la Gaillarde. C’est aussi, bien sûr, le jazz que j’aime autant pour ses qualités musicales intrinsèques que pour l’évocation de l’esclavage et de la question noire.
Les six années de pouvoir personnel, comme nous disions, qui vont suivre la fin de la guerre d’Algérie seront de plus en plus lourdes. Le sentiment d’être dans un pays qui n’est plus vraiment une démocratie, avec des ministres aux ordres, avec des députés aux ordres augmente sans cesse. En 1962, j’avais 18 ans. En 1968, j’en aurai 24. C’est toute ma jeunesse qui en prend plein la gueule. Et je ne suis pas le seul. Nous sommes prêts pour saisir la moindre occasion pour sortir de là.
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