Mai 1968 : 1 – Pour commencer

Mai 1968 : 1 – Pour commencer

Il y a quelque temps que ceci me démange. Et puis j’ai entendu dire à la radio qu’il y avait pas moins de 300 ouvrages qui allaient être publiés à l’occasion du quarantenaire des évènements de mai 1968. Et comme l’envie me taraudait, j’ai donc décidé d’être le 301ème. Et quand je pense à tous les blogs, ici et ailleurs qui vont fleurir sur le sujet, avec tous les témoignages et tous les commentaires, je me dis que les historiens auront bien du mal, dans le futur.

Quand des évènements historiques ne sont consignées que dans quelques gestes reproduis en autant ou un peu plus de grimoires copiés par des copistes qui ne connaissaient ni l’imprimerie, ni la machine à écrire, ni le copier-coller, le nombre de sources est donc fort limité. Chaque chercheur y va de son édition critique commentée à sa façon. Mais là, combien de centaines de milliers de lignes vont être écrites ? Que de thèses en perspective. On imagine: les évènements de mai 1968 à travers les témoignages des bloggeurs du journal Le Monde… Et ainsi de suite… Naturellement, cela risque d’être un peu impressionniste et mal structuré.

Nourrissant donc, au fur et à mesure de l’écriture de ces lignes, le projet de servir de matière à une deux thèses dans le futur, étant moi-même conscient de l’abnégation dont il faut faire preuve pour en avoir écrit une, j’ai donc décidé de produire une matière un peu organisée. Ce témoignage sera rare parce que j’ai vécu plusieurs Mai 68. J’étais à la fois étudiant, enseignant à l’Université, salarié d’un service public et jeune père de famille puisque mon fils a eu l’idée (bonne ou mauvaise, seul lui le sait, et encore…) de naître le 3 mai.

13mai-3.1204242038.jpgOn peut dire aussi que le mémorialiste aurait pu attendre le cinquantenaire, nombre plus prestigieux. Mais il se trouve qu’en 2018, je devrais avoir 73 ans et que je ne suis point certain d’avoir toute les facultés nécessaires à ce moment-là. Sans compter qu’il y a même une probabilité pour que je soie mort. Cette affaire de date est peut-être l’explication de la grande charrette littéraire qui nous attend. Avoir eu 20 ans en 68, c’est en avoir 60 aujourd’hui. Les auteurs vivant se disent que le temps n’est pas infini.

Avant de commencer vraiment cette suite de souvenirs, je voudrais juste donner quelques images fortes, sélectionnées dans toutes celles qui me restent. La première est auditive: le bruit des pavés qu’on jette les uns sur les autres, cet espèce de claquement un peu mat quand chacun d’eux tombe sur la barricade. Mais ce bruit n’est pas isolé. Avec le nombre de mineurs qui dépavent la rue et le nombre de manutentionnaires qui jettent les pavés, le bruit est celui d’une rafale cadencée autour de la seconde. D’une rafale qui ne s’interrompt pas.

Un autre souvenir fort est la peur quand on se trouve en face d’une ou deux compagnies de CRS qui sont prêtes à charger. L’uniforme est noir, le bouclier et le casque cachent ce qu’on pourrait entrevoir du visage. Pour le coup, les CRS n’ont rien d’humain, car rien ne permet d’apercevoir, ne serait-ce que fugitivement, la moindre expression. Avec la matraque à la main, on sent que cette chose est prête à tout. C’est pourquoi j’avoue que j’ai une certaine admiration pour les suicidaires qui ont le courage de s’avancer, les mains nues, vers cette pieuvre noire. Les CRS n’ont rien d’humain. C’est fait pour. C’est peut-être aussi pourquoi il était si facile de crier « CRS SS ».

Une autre image encore, c’est la rue Gay Lussac en feu. Scène de guerre. On s’étonne qu’il n’y ait pas eu de morts.

Et pour finir, une vraie image cette fois, car je n’étais pas en position de le voir comme cela. Mais d’autres l’ont photographiée. L’immensité de la manifestation du 13 mai.

[Suite]

Bakounine

1 commentaire pour l’instant

Bukowski Publié le11h11 - 15 mars 2012

Monsieur, cher ami,
J’ai à peu près le même âge que vous. Je suis Polonais, et j’habite en france. En 1968, nous avions protesté contre vos malheurs. l’un des vôtres, Janos Szentmihalay, bibliophile de Budapest était un ami. Je suis en train de faire une 302-e autobiographie. Je vous transmets mes amitiés
André Bukowski