Je parlais aujourd’hui avec un membre d’une entreprise dont il faudra qu’un jour je raconte l’histoire, de la situation politique et économique générale.
Ce monsieur, qui est certainement moins libertaire que je ne le suis, me disait son écoeurement absolu devant le spectacle de ce qu’on ose même plus appeler économie mondiale tant tout ce qui se passe ressemble plus à des manoeuvres de gangster qu’à de véritables opérations industrielles. Il me disait son écoeurement profond envers, notamment, les possédants de titres et de stock-options d’EADS qui ont profité de leur situation d’initiés pour sauver chacun quelques millions d’euros (qui, à l’échelon de leur escarcelle, ne doit pas représenter l’essentiel de leur magot). Pire encore. Ils ont fait avaler la soupe froide à la Caisse des Dépôts qui perd au passage quelques centaines de millions d’euros. Et la Caisse des Dépôts, c’est quand même, même si c’est indirectement, le citoyen français.
Je ne vais pas faire ici l’inventaire de toutes les saloperies que nous voyons ou que nous pressentons. Au passage, les tas de millions en liquide du chef de l’UIMM. Qui sont allés couler dans on ne sait quelles poches… Les appartements de qui vous savez…
Ce monsieur me disait son envie de « casser la gueule » à ceux-là qui naviguent allègrement sur leurs tas d’or pendant qu’ils sont à la source de licenciements de dizaines de milliers de personnes.
Et je ne peux qu’admirer cette impatience. Sans doute le slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » a été un peu galvaudé et privé de son mérite parce que certains, selon la règle commune, ont, sous prétexte de socialisme et de liberté du peuple, confisqué le pouvoir et les richesses (sachant qu’il est peu probable que l’un n’aille pas sans l’autre).
Je veux dire, et sans doute redire, qu’à l’âge où il est naturel de s’intéresser aux engagements politiques, les personnes de ma génération se sont facilement trouvé engagées, ici où là, à gauche ou à l’extrême gauche, quelques uns, malheureusement, loin de la gauche. Nous y avions évidemment été bien aidés, il est vrai, par la guerre d’Algérie et l’affaire du Viet-Nam (mais aujourd’hui, il y a nombre de situations dans ce monde qui ne sont pas plus reluisantes). Ceci nous a conduit à la mobilisation de mai 1968 qui n’était pas, comme on le croit à tort, une joute de pavés avec les CRS (-SS). Quand il y avait mille ‘enragés » qui combattaient la police la nuit, il y en avait cent mille qui, le jour venu, participaient dans les théâtres (cf. le rôle qu’a tenu le théâtre de l’odéon), dans les facultés, dans les entreprises, dans les rues, à cette grande fête de parole libérée. C’était spontané et un peu libertaire, ce qui inquiétait fort partis politiques et syndicats.
Actuellement, on ne peut qu’être fasciné par l’absence quasi-totale de conscience politique de la génération qui a, en ce moment, entre 20 et 30 ans. Elle peut s’éveiller, comme sur l’affaire du CPE, mais c’est un feu de paille. Et puis tout retombe dans ce piège fabuleux de la convention sociale qui veut qu’on prépare un « métier », qu’on « s’oriente », en même temps qu’on vous dit que, de toute façon, on devra changer significativement d’emploi plusieurs fois dans sa vie, quant on ne vous annonce pas froidement que, de toute façon, on deviendra chômeur.
Ce rouleau compresseur capitaliste et libéral, aidé par la télévision du moins disant culturel peut-il continuer à avancer, et jusqu’à quel point, avant que le peuple enfin se soulève significativement ?
On critique souvent les « meneurs » de 68 et d’autres qui se sont trouvés dans des situations de forte implication parce qu’ils ont pu, par la suite; détenir des places importantes dans le système. A l’image de Daniel Cohn-Bendit. Comme s’il avait dû passer sa vie dans ce sourire narquois et plein de tâches de rousseur dont la photo a fait le tout du monde (on remarque qu’il est propre sur lui et ne porte pas les cheveux longs). Mais cet homme-là est député simplement parce que son implication de l’époque l’a préparé. Bien mieux que les cours sur les bancs de la fac, qu’il ne suivait d’ailleurs pas de façon assidue.
Nous sommes nombreux, nous qui avons pris la parole en mai 1968, à nous trouver dans des postes de responsabilité ici ou là. Simplement parce que notre formation politique contribua à notre formation de citoyen et, plus généralement, à notre prise de responsabilité. Lorsque je suis entré, il y a quelques mois, au CA d’une association, un copain m’a dit: « Tu as commencé ta longue marche vers la présidence ». Il est vrai qu’il en fut souvent ainsi.
Mais nous autres, les soixante-huitard, ceux qui ne sont pas attardés et qui ont su participer à l’évolution de leur monde, sans renier les valeurs qui nous avaient poussés à prendre la parole dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, nous allons nous retirer. Il faut que de nouvelles consciences politiques nous succèdent, ou le monde, et la France en tout cas, ne seront plus qu’un océan de merde.
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