Je rencontre aujourd’hui une commerciale d’une société, grande société, dont je tairai évidemment le nom. L’actionnariat de cette entreprise est diversifié, sur le marché, avec des petits et des gros actionnaires. Les gros, surtout les gros, veulent « du cash », comme l’on dit. Ils veulent, non seulement voir le prix des actions monter, mais encore toucher de gras dividendes.
Ne nous y trompons pas, cette société n’est pas dans le mur. Depuis 15 ans, le cours de ses actions a été multiplié par quatre, avec un passage, avant la crise, à un coefficient de six fois la valeur d’origine. Mais voilà, il faut plus et toujours plus, « faire du chiffre ».
Cette commerciale était accompagnée de son responsable afin de pouvoir valider les remises qu’il se proposait de faire. Car la concurrence est féroce par les temps qui courent et qu’il vaut mieux traiter avec une marge de 2% que perdre avec une marge de 10%. A première vue, les clients pourraient s’en satisfaire, mais il est probable que ce qui est gagné ici sera perdu ailleurs, notamment en termes de qualité de service par diminution d’effectifs et de masse salariale.
Ces deux personnes m’ont parues un peu « tendues ». Alors, nous avons pris le temps de parler un peu. Et l’on découvre que derrière la façade commerciale, il y a des hommes et des femmes sous une pression terrible. Il faut visiter un certain nombre de clients, c’est vérifié et c’est compté. Il faut ramener un certain nombre de contrats. C’est vérifié et c’est compté. Alors, pour essayer de tendre vers les objectifs, les salariés en font toujours plus. Ils se lèvent avant l’aube, se couchent à minuit. Leurs journées sont des tunnels. Boulot, dodo. Seul le week end apporte un peu de détente. Difficile d’aller, ne serait-ce qu’une fois par semaine, chercher ses enfants à l’école ou au lycée. Impossible d’aller le soir se détendre au cinéma. Boulot, dodo.
Je me demandais, en parlant avec ces deux personnes, si l’une ou l’autre se pendrait. Allez savoir, quand vous devez, évidemment, cacher votre tension au client.
Lui m’a dit qu’il ne lui restait que six mois pour atteindre 50 ans. Qu’il espérait bien ne pas être licencié avant. Tenir encore quelques mois et être prêt à accepter de partir avec un gros chèque proportionné aux années de maison…
Cette pression va à l’encontre de tout ce que la recherche en Psychologie du Travail a démontré dans des centaines d’études depuis plus d’un siècle. On sait que le stress fait baisser la productivité. On sait que les employés donnent le meilleur d’eux-mêmes dans des environnements de travail où ils sont considérés et concernés. On sait tout cela et l’on sait donc, évidemment, que toutes ces entreprises où existe ce type de management par la pression, vont exploser un jour. La vague des suicides comme réponse désespérée n’est pas terminée. Elle fait école. Et les libéraux français et européens regardent silencieux passer le vent mortel du management assassin.
Je ne regrette pas d’avoir voté contre la nouvelle constitution européenne qui n’est qu’un concordat de notaire pour organiser à l’échelon d’un continent le pressage des hommes et des femmes pour en faire couler le jus infâme de l’enrichissement des plus riches.
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