Je ne suis pas allé voir « Entre les murs »

Je ne suis pas allé voir « Entre les murs »

Je ne suis pas allé voir Entre les murs. Pire, je n’ai pas envie d’y aller. Au moins pour l’instant. Pourquoi ?

 

Ce que j’en sais, ce que j’en ai vu, provoque un malaise en moi. Je sens venir la contestation de la pédagogie traditionnelle de l’autorité. Mais comment, moi l’héritier de mai 68, puis-je être ainsi aussi réservé ?

 

Disons-le tout de suite. J’ai été initié à Rousseau par un professeur de français qui ne l’aimait guère. Qui le trouvait veule. Et autant cet homme méprisait Rousseau, autant admirait-il Voltaire. Cela m’est resté. Et il faut de fortes expériences douloureuses pour changer quand c’est si bien enraciné. Tout ceci pour dire que ce que j’ai retenu de 68 en matière de pédagogie est resté réticent aux expériences pseudo-libertaires frisant la démagogie.

 

J’ai toujours estimé que la relation enseignant-enseigné était asymétrique et qu’elle devait reposer sur l’autorité légitime. J’ai bien dit « légitime ». Puis mes études de psychologie et mes pratiques de cadre pédagogique m’on conforté sur l’idée de la nécessité d’images parentales (pour dire vite, mais ce peuvent être d’autres adultes) solides. Et même s’il m’arrive d’être réservé sur la psychanalyse, l’idée d’un « surmoi » construit sur la base des interdits sociaux et parentaux m’a toujours paru au minimum métaphore intéressant.

 

Or, là, on me dépeint ce film comme l’étude d’un mode de relation enseignant enseigné non conforme à l’idée que j’en ai. On peut alors me reprocher de ne point accepter d’exemples contradictoires. Mais n’ayons crainte. Je le verrai le film quand la période de l’admiration béate par des non spécialistes naïfs aura passé. Je me sentirai plus libre de penser différemment de la meute (peut-être). Et moins agressé si mon point de vue diffère de la majorité, ce qui est probable si le film est comme il s’annonce.

 

Car l’origine socioculturelle n’explique pas tout et, surtout, ne permet pas tout. Il est évident que notre système scolaire n’est pas adapté à tous. J’ai presque envie de dire qu’il n’est adapté à personne. Mais je pense aussi fortement, probablement parce que je suis de cette trempe, qu’il faut que les enseignants SOIENT. Verbe être utilisé de façon intransitive. Etre avec des tas de questions comme dans « to be or not to be ». Rien n’est pire qu’un enseignant qui ne lèguera pas de souvenir à ses élèves. Il doit permettre, à la fois, des processus d’identification, et des processus de rejet. mais de rejet contruit, car il faut bien aussi que l’élève SOIT. Et pour être, il doit être différent de moi. Cette singularité du maître passe par la singularité de son langage qui doit être de bon niveau, tout en restant compréhensible, évidemment. Cette singularité passe par l’apparence de sa personne qui doit être plus proche de celle de ses pairs que de celle de ses élèves. Cette singularité passe enfin par la morale, la justice et donc, une certaine sévérité.

 

Je pense que si l’on me demandait de choisir mes modèles préférés, en matière de pédagogie, je choisirai d’abord Célestin Freinet, puis Anton S. Makarenko.  Et je crois bien qu’aucun des deux ne se serait senti bien « entre les murs ».

Bakounine