Le génocide et l’individualisme

Le génocide et l’individualisme

Je regardais une rediffusion d' »Holocauste » sur la chaîne Histoire. Et voici de nouveau posée cette éternelle question: comment peut-on comprendre que des millions de juifs aient pu ainsi être assassinés sans pratiquement aucune résistance.
Le film montre de façon rapide le soulèvement du ghetto de Varsovie et l’étonnement des participants de constater qu’ils peuvent, même avec peu d’armes, causer des dommages à l’adversaire dès lors qu’ils son un peu groupés et organisés. Mais, au fond, ils savent bien qu’ils finiront vaincus notamment parce qu’ils ne sont pas assez nombreux.
Plus tard, est montrée, un peu sommairement, il est vrai, l’évasion du camp de Sobibor. Cette évasion a ceci de spectaculaire, c’est qu’elle est massive. Mais c’est ce nombre qui en fait la force et la réussite. La puissance de feu des gardiens n’est pas suffisante à la fois pour s’opposer aux armes, pourtant inférieures en nombre, des évadés et abattre tous ceux qui courent vers la sortie.
Ce qui fait la force de cette évasion, c’est évidemment le nombre, mais aussi le fait qu’elle réussit au prix du sacrifice d’un certain nombre de candidats à la liberté. A vrai dire, ce ne sont pas des individus qui s’évadent, mais une espèce qui survivra simplement parce qu’un nombre suffisant sera épargné.
Le contraste est grand avec tous ceux qu’on conduit résignés à l’abattoir. Mais alors pourquoi ne se soulèvent-ils pas en masse comme les prisonniers de Sobibor ?
Il y a, de mon point de vue, deux facteurs.
Le premier est l’absence totale d’organisation collective telle que serait un parti, une association ou un syndicat, par exemple. C’est ainsi que le parti communiste fut un élément structurant de la résistance française aux nazis, même s’il ne fut pas le seul. Le noyau structurant permet l’agrégation d’éléments auparavant isolés: ainsi se développent peu à peu groupes de résistance ou de partisans. Mais les membres découvrent vite que la survie du groupe transcende la survie individuelle. Il devient évident, comme à Sobibor, que tous ne survivront pas.
Le deuxième facteur est corollaire du précédent: c’est l’individualisme. Quand les personnes soumises aux arrestations imaginent leur salut individuel, elles n’en trouvent naturellement aucun, tant le rapport de force est en leur défaveur. Il ne reste plus qu’à espérer l’improbable qui ne survient naturellement pas. Alors qu’il eût suffi que des centaines de déportés se jettent sur leurs gardiens avant de monter dans les trains pour que l’évasion soit possible, au prix, naturellement d’un certain nombre de victimes. On sait bien qu’il y eut quelques spectaculaires manifestations d’isolés qui périrent et n’entrainèrent pas un ensemble suffisant d’individus qui ne constituaient pas une collectivité.
Mais il ne suffit pas de croire que « l’union fait la force ». La force de l’union vient de ce que chaque membre est disposé au sacrifice pour la collectivité. Cette union sacrée peut naître de l’idéologie commune. Elle peut découler aussi du désespoir commun.
Ceux qui nous gouvernent et pillent les richesses du monde prennent bien soin de ne pas désespérer trop de citoyens.

 

Notes d’économie politique  38 – 1er novembre 2008

Bakounine