[Mai 1968: commencer au début]
En 1968, je n’étais plus complètement étudiant. J’avais obtenu ma Licence en Psychologie en Juin de l’année précédente. J’étais inscrit en première année de Doctorat de 3ème Cycle. Mais j’étais marié et j’avais deux emplois. Pour un mi-temps j’étais embauché en raison de mes compétences en méthodologie et en statistique au Service de la Recherche de ce qui s’appelait à l’époque l’Institut Pédagogique National (devenu ensuite I.N.R.D.P.). Sous la houlette d’un titulaire, j’étais chargé de la préparation méthodologique et du traitement des données de quelques recherches. Par ailleurs, j’étais engagé pour diriger des travaux pratiques de Psychologie de l’Enfant dans le cadre d’un certificat de la Licence en Psychologie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris. J’avais donc aussi une petite base dans un laboratoire au quatrième étage de la Sorbonne, à l’angle de la rue des Écoles et de la rue Saint Jacques.
Quelques jours avant le 2 mai, nous avions provisoirement déménagé, ma femme et moi, dans l’appartement de mes beaux parents dans le 9ème arrondissement de Paris. Là, nous étions plus proches de la clinique d’accouchement où devait incessament naître mon fils. Le 2 mai, vers 16 heures, apparurent les signes annonciateurs. La future maman alla donc s’installer dans une chambre à la clinique. En fin de soirée, le personnel me congédia, en me disant que l’évènement n’arriverait probablement que le lendemain matin.
Le matin du 3 mai, je revins donc au petit matin, et au bout de quelques heures, l’heureux évènement se produisit. A partir de ce moment mon emploi du temps devint tendu: aller à l’état civil déclarer la naissance, déjeuner sur le pouce et me rendre dans une école, rue St Benoît dans le 6ème, près de St Germain des Prés. En effet, nos T.P. avaient lieu dans les écoles en présence et avec des enfants.
Quand j’en sortis 3 heures plus tard et prenant le Boulevard St Germain, je compris qu’il s’était passé des choses et qu’il s’en passait encore. Si je m’en souviens bien, il y avait peu de circulation automobile. Je revois aussi des grilles de pieds d’arbres sorties de leur position normale. Des débris sur la chaussée et sur les trottoirs. J’aurais bien poussé jusqu’aux carrefours St Michel – St Germain ou de l’Odéon, où, vu de loin, il semblait qu’il se passait quelque chose. Mais pressé par mes obligations de jeune père, à regret, je rentrai au plus vite par le métro. Ce n’est que bien plus tard, par la radio et par la télévision que j’appris ce qui s’était passé.
Le 3 mai, j’ai donc vu naître mon fils. Mais je n’ai pas vu naître les « évènements ».
On savait bien qu’il y avait de l’orage dans l’air. Depuis quelques semaines, la radio nous tenait au courant de la situation à Nanterre qui prenait parfois une coloration légèrement insurrectionnelle. Nos enseignements à la Sorbonne et à Censier n’étaient pas interrompus. Cependant, souvent, au début des cours, quelque chevelu demandait une prise de parole. On ne refusait jamais pour autant que ce soit relativement bref. S’ensuivait généralement une harangue pour tenter de mobiliser par solidarité avec Nanterre. Mais cela ne mordait pas vraiment.
Les autorité commirent plusieurs erreurs stratégiques. Fermer Nanterre ce qui provoqua l’occupation de la Sorbonne. Puis vider, à son tour, la Sorbonne, ce qui transporta l’agitation dans la rue. Pour la première fois, la police violait la Sorbonne avec ses gros godillots. Et comme cette évacuation se passa sans ménagements avec plusieurs centaines d’arrestation, on trouva là une autre raison légitime de protester. Le 3 mai, les premières barricades s’élevèrent. Paris n’avait pas vu cela depuis sa libération en 1944.
Quand j’appris ce qui s’était passé, ce fut un ravissement.
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