On va certainement gloser longtemps et beaucoup sur les causes de l’échec de Ségolène Royal, ce 6 mai 2007. On dira que la campagne a été mal faite, que les idées ont été mal présentées, que l’ensemble du parti socialiste ne s’est pas montré assez coopératif.
Tout ceci est probablement vrai. Mais l’impact de ces avatars circonstanciels est sans doute relatif. Il est probable que si Ségolène Royal avait été candidate en 2002 à la place de Lionel Jospin, elle aurait gagné.
Certains experts pensent que les variations électorales françaises tiennent à une petite partie de l’électoral « flottant » qu’on estime à, grosso modo 5%. Il est vrai que si l’on retire 5% des voix à Sarkozy et qu’on les ajoute à Ségolène, voici que le résultat est inversé. Ajoutez 5% à Jospin en 2002 et la face du monde aurait été changée. Il était présent au deuxième tour. Qui peut dire ce qui se serait passé ensuite.
Et l’on dit, également que les critères sur lesquels se décident ces 5% échappent à une véritable logique politique. Ces électeurs ne sont pas de gauche, ne sont pas du centre, ne sont pas de droite. Ils se décident impulsivement sur des critères difficiles à cerner. En 2002, Ségolène Royal serait probablement apparue comme plus chaleureuse, plus battante, plus enthousiaste, plus belle que Jospin. Cela aurait peut-être suffi.
En 2006, on peut dire que Sarkozy tombait bien, dans l’ambiance. Une grande partie de la population, les plus vieux, les plus vulnérables, demandaient aide et protection : demande de sécurité intérieure contre une augmentation réelle ou imaginée de la délinquance de proximité et des atteintes aux biens et aux personnes ; demande de protection contre la dureté de la concurrence internationale conduisant, notamment, aux délocalisations. Sarkozy s’est présenté avec un programme paternaliste promettant le retour des valeurs d’ordre, du travail, de la propriété, de la famille, de la patrie, etc., valeurs qui ne coûtent pas grand-chose tant qu’on a pas commencé à essayer à les mettre en application.
La différence essentielle entre le programme du candidat de droite et le programme de la candidate de gauche résidait en réalité dans la méthode de mise en œuvre. Sarkozy disait « je vais faire », en faisant semblant d’ignorer superbement l’écart entre la parole et les actes. Ségolène disait « je vais consulter sur la manière de faire », ce qui est plus honnête, mais moins sécurisant puisqu’on ne peut prévoir à l’avance le produit de ces consultations. D’un côté, le candidat est imprudent puisqu’il s’engage sur la voie des promesses électorales : cf. la baisse d’un tiers de l’impôt sur le revenu promise par Chirac en 2002, promesse qui ne sera pas tenue, parce qu’elle est intenable. Et pourtant, quand on disait en 2002 que c’était impossible, il y a avait bien des gens pour y croire mordicus, malgré les centaines de promesses qu’avaient faites Chirac tout au long de sa carrière.
Ségolène est très différente. Promettant la consultation, la concertation autant que faire se pourra, elle ne promet rien qu’elle ne puisse tenir, sauf un critère de moralité : celui de la « France juste », ce qui veut dire que les résultats de la concertation devront conduire à une répartition honnête des profits et des efforts, contrairement à une réalité dominante du quinquennat précédent qui est la confiscation des produits de la croissance par une minorité de gens et de structurse pendant que la majorité du peuple salarié souffre des conséquences sauvages de la mondialisation.
Lorsqu’elle est participative, Ségolène est bien plus à gauche que ne l’était, par exemple Mitterrand. Sa référence permanente à ces allers et retours avec le peuple s’inscrit, involontairement, peut-être, pour une part, dans la ligne de 1968 et c’est probablement une des raisons pour lesquels son adversaire a tant fustigé cet héritage. Le seul problème pour l’électeur moyen c’est qu’il ne voit pas d’avance ce qui en découlera dans la vie quotidienne et dans le porte monnaie.
Ce programme est intelligent. Pas le moindre du monde démagogique. C’est probablement une raison pour laquelle il a si fortement enflammé tous ceux qui demandaient qu’on considère davantage le citoyen, même avec une part de risque et peu excité les habitués, pourtant tant de fois floués, de la politique clientéliste, ceux qui attendent des élus qu’ils leur « donnent » un travail, un logement, une aide sociale, etc., etc.. A ce titre, Ségolène représente bien plus que l’autre les valeurs de travail et d’investissement de soi, mais c’est totalement invisible en première analyse, même sommaire, comme il est évident qu’une grande part des électeurs n’est culturellement pas capable de le faire.
Si l’on fait le total de ceux qui votent Sarkozy pour préserver leurs richesses et leurs avantages et des membres des classes populaires qui attendent du pouvoir qu’il leur « donne » ceci ou cela, on ne doit pas être très loin du compte. Et quand on sait qu’il eût suffi d’à peine plus de 3% pour que tout bascule…
Pouvait-on faire autrement ? Certainement : le parti socialiste aurait pu, sans doute avec une autre personnalité, présenter un programme plus « classique » avec un train de mesures sociales et économiques comme Strauss-Kahn aurait pu le faire. Mais les électeurs qu’il trouvait par ici auraient-ils compensés ceux qu’il perdait par là ? Personne ne peut l’estimer. Certains électeurs potentiellement de gauche étaient décidés à voter au premier tour pour François Bayrou si DSK ou Fabius sortait gagnant de la primaire socialiste. En d’autres termes, nul ne sait ce qu’aura rapporté la variable « enthousiasme » de Ségolène Royal dans l’environnement sinistre d’un PS vieillissant et englué dans les querelles de personne. D’ailleurs les résultats de la présidentielle sont à peine connus depuis 24 heures que le bureau politique s’apprête à redonner une place aux éléphants (notamment DSK et Fabius) qui vont recommencer leurs leçons ennuyeuses et qui ne sont pas dépourvues de compétition interpersonnelle dont l’électeur n’a rien à faire.
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