Archive dans 9 novembre 2010

Mélenchon: pourquoi pas ?

melenchon.1289663167.jpgLe point de doctrine qui fait toute la différence avec les autres est sa rupture avec l’économie de marché.

Car les socialistes, tout socialistes qu’ils sont, ne l’ont pas rejetée. Ce qui fait d’eux des tenants du libéralisme économique dont on a vu récemment les effets dévastateurs. Ce qui les conduira, s’ils parviennent au pouvoir, à atténuer par des mesures sociales les conséquences du capitalisme sauvage qui sévit ces temps ci sur la planète.

Mélenchon est ce que les communistes auraient pu être s’ils avaient été plus marxistes que staliniens. Et comme ni Lénine, ni Staline, ni Mao, ni tous les autres, étaient plus intéressés par la dictature que par les idées de l’auteur du Capital, les communistes se sont écrabouillés avec l’Est.

Ce n’est pas un hasard si Mélenchon fait bande avec ce qui reste des communistes. Cela ne les enthousiasme probablement pas, mais c’est probablement leur seule manière d’encore exister.

Du coup la frontière n’est pas entre les socialistes et le centre et la droite, elle est entre les socialistes et le Parti de Gauche. Ce dernier pourra trouver quelques alliances avec le NPA et certains « verts », notamment ceux qui sont bien pénétrés de la nécessité d’un changement altermondialiste. Et, de ce point de vue, il est probable qu’Eva Joly est moins loin de Mélenchon que de Strauss-Kahn

Mélenchon est-il « populiste » ?

« Le populisme met en accusation les  élites ou des petits groupes d’intérêt particulier de la société. Parce qu’ils détiennent un pouvoir, le populisme leur attribue la responsabilité des maux de la société : ces groupes chercheraient la satisfaction de leurs intérêts propres et trahiraient les intérêts de la plus grande partie de la population. Les populistes proposent donc de retirer l’appareil d’Etat des mains de ces élites égoïstes, voire criminelles, pour le « mettre au service du peuple ». Afin de remédier à cette situation, le leader populiste propose des solutions qui appellent au bon sens populaire et à la simplicité. Ces solutions sont présentées comme applicables tout de suite et émanant d’une opinion publique présentée comme monolithique. Les populistes critiquent généralement les milieux d’argent ou une minorité quelconque (ethnique, politique, administrative etc.), censés avoir accaparé le pouvoir ; ils leur opposent une majorité, qu’ils prétendent représenter. » (Wikipedia )

Voilà un populisme qui ne manque pas d’attraits.

DSK ? Une bulle politique

dsk.1289663308.jpgDans Le Monde date des 24-25 octobre, Jean-Pierre Dupuy publiait un point de vue qui ne manque pas de susciter des interrogations : « DSK, une bulle politique », et en commentaire : « Il est le favori de tous les sondages, qui le propulsent en tête des candidats de gauche. Et si Dominique Strauss-Kahn n’était qu’une création médiatique, une valeur surcotée ? » (1).

L’auteur s’interroge sur la légitimité réelle de la probable candidature de l’actuel Directeur Général du Fonds Monétaire International. En économie, l’écart entre la valeur intrinsèque d’un bien et sa valeur marchande est nommé « une bulle ». Alors, DSK vaut-il ce qu’on dit de lui ? Une part de cette valeur est à rapprocher de ce qu’en dit la presse ou les thuriféraires qui le soutiennent. Mais il est évident que rien dans ces messages ne peut correspondre à une analyse rigoureuse et scientifique.

Naturellement, personne ne songe à nier les compétences théoriques de l’intéressé (HEC, IEP, Doctorat, professorat, etc…). Encore que ses publications dans des revues scientifiques n’en témoignent pas. Technicien de l’économie, alors ?

Alors, l’auteur pointe « l’écart abyssal » entre les jugements portés en France et à l’étranger, sur son action. Lesquels jugements pointent et stigmatisent les actions sévères pour les pays en difficulté comme la Grèce ou la Lettonie. Les réactions sont sans appel : « Les avis du FMI sont-ils meilleurs que ceux d’un ivrogne dans la rue ? » (Dean Baker, codirecteur du Center for Economic and Policy Research);   « Des cinglés aux commandes » (Paul Krugman, prix Nobel d’économie).  On va même jusqu’à suggérer que ses décisions au FMI n’ont pas d’autre objet que de faire les titres des journaux français. (New-York Times, 11 mai 2010). Paradoxalement, il n’est pas question de ces controverses dans la presse française.

« La bulle DSK, conclut l’auteur, s’est formée comùme toutes les bulles. L’ignorance et la manipulation ont joué leur rôle, mais aussi la mécanique spéculaire du désir et de la fascination.

Et s’il est très peu probable que Dominique Strauss-Kahn soit un homme de gauche (2), il faudra y regarder à deux fois avant d’en faire le candidat « providentiel » contre Nicolas Sarkozy !

1- Voir: Arrêt sur images (l’article du Monde n’est visible que par les abonnés)

2-  Voir: Le monde selon Cyrano

Quand le supercapitalisme menace la démocratie

Thierry Ternisien, Mediapart, 6 juin 2008

Début 2008 était publié aux éditions Vuibert, dans une excellente traduction et avec un appareil critique complet (index, notes), un livre dont je m’étonne qu’il n’ait pas rencontré plus d’écho. Professeur de politique publique à l’université de Californie à Berkley, ancien secrétaire d’Etat à l’emploi sous la présidence de Bill Clinton, Robert Reich s’attaque pourtant à une question fondamentale. « Et si le capitalisme d’aujourd’hui signait l’arrêt de mort à petit feu de la démocratie ?». A travers six chapitres (l’âge pas tout à fait d’or, le supercapitalisme en gestation, le grand écart, la démocratie malade, la politique détournée de sa vocation, guide du supercapitalisme à l’usage du citoyen) Reich décrit et analyse comment le capitalisme du milieu du XIXe siècle s’est transformé en « capitalisme global » puis en « supercapitalisme ». Mais alors que ce supercapitalisme permet d’agrandir encore le gâteau économique, la démocratie, elle, qui se soucie de l’ensemble des citoyens est, sous son influence, de moins en moins effective.

Approximativement entre 1945 et 1975, l’Amérique avait trouvé, selon Reich, un compromis remarquable entre capitalisme et démocratie. Il combinait un système économique très productif et un système politique qui répondait dans une grande mesure aux besoins des citoyens. Cette époque était caractérisée par une production de masse (avec économies d’échelle et entreprises géantes), un partage des profits entre les parties prenantes (entreprise, fournisseurs, distributeurs, salariés), et un gouvernement qui protégeait la capacité de négociation de ces parties prenantes et qui réglementait l’accès aux biens communs (chemins de fer, téléphone, gaz et électricité et plus largement énergie).

Depuis la fin des années 1970 un changement fondamental s’est produit dans le capitalisme démocratique américain. Ce changement s’est propagé par ondes successives au reste du monde. La structure de l’économie a évolué vers des marchés infiniment plus concurrentiels. « Le pouvoir est passé aux consommateurs et aux investisseurs ». Les nouvelles technologies, issues de la guerre froides sont à l’origine de ce changement à travers :

· Le développement de la mondialisation avec la création de chaînes d’approvisionnement mondialisées rendues possibles par l’utilisation des conteneurs, tankers et des nouvelles techniques d’informations et de communication). Cela a aussi permis à la grande distribution d’agréger le pouvoir de négociation des consommateurs et de pressurer les fabricants pour en obtenir des prix toujours plus bas. Enfin le lien entre performance des entreprises américaines (de plus en plus mondialisées) et le bien-être des citoyens américains s’est rompu.

· Le développement de nouveaux processus de production de plus en plus informatisés , avec la fin des économies d’échelles, l’apparition de vendeurs multiples et la concurrence des oligopoles par des producteurs spécialisés.

· Le développement de la déréglementation dans les domaines des télécommunications, du transport aérien, de l’énergie mettant fin aux péréquations et aux subventions croisées. Enfin la déréglementation financière s’est accompagnée de l’agrégation par les fonds de pension et mutuels des investisseurs individuels qui ont contraint les entreprises à des rendements de plus en plus importants.

L’économie américaine est maintenant caractérisée par ce que Reich appelle « le grand écart ». Avec une économie devenue de en plus productive (triplement du PIB, un Dow-Jones multiplié par 13) et un revenu médian qui a stagné (si il avait progressé au même rythme que la productivité, ce revenu serait supérieur de 20 000 dollars par an à celui constaté aujourd’hui). Avec un désengagement des entreprises dans le domaine de la protection sociale de leurs salariés (18% leur fournissent couverture sociale complète en 2006 contre 74% en 1980) et de leurs retraités (un tiers des entreprises de plus de 200 salariés fournissent une assurance sociale en 2006 contre deux tiers en 1980). Avec une captation accrue de la richesse par les couches supérieures. En 2004, 16% du revenu intérieur bénéficie à 1% des contribuables (deux fois plus qu’en 1980) et 7% de ce même revenu à 0,1% des contribuables (trois fois plus qu’en 1980). Enfin, là où un PDG d’une grande entreprise gagnait, en 1980, 40 fois le salaire moyen de ses salariés, il gagne, en 2001, 350 fois ce salaire moyen et même, en 2006, pour le PDG de General Motors, 900 fois.

La démocratie américaine est elle malade. Les marchés répondent avec une efficacité redoutable aux désirs individuels, ils ne répondent pas aux objectifs collectifs. Les citoyens sont devenus inaudibles. Ne bénéficiant plus des institutions qui agrégeaient leurs pouvoirs de négociation, leur voix est couverte par le vacarme des entreprises et lobbies de toute sorte. Le processus politique est devenu une extension du champ de bataille qu’est le marché. Les entreprises sont entrées dans une concurrence de plus en plus farouche pour arracher des décisions politiques leur conférant un avantage concurrentiel conduisant à une véritable OPA du monde de l’entreprise sur celui de la politique. Avec un rôle croissant de l’argent des grandes entreprises dans la politique. Avec des entreprises et coalitions qui se présentent volontiers comme défenseurs de l’intérêt général, qui définissent ce que sont les « grands problèmes du moment » et qui financent des experts pour parer d’une apparence rationnelle des arrangements confortables (conduisant à une véritable « corruption du savoir »). Avec des politiques publiques jugées à la seule aune d’un calcul utilitaire permettant de déterminer si elles sont susceptibles d’améliorer la productivité de l’économie. Avec des responsables politiques qui s’intéressent de moins en moins aux questions de justice et d’équité sociale, alors que les inégalités se creusent, qui « représentent » les consommateurs et investisseurs, et de moins en moins les citoyens.

Pour Reich il est devenu indispensable de séparer capitalisme et démocratie et de monter une garde attentive sur la frontière entre les deux. L’enjeu est d’établir de nouvelles règles susceptibles de protéger et promouvoir le bien commun et d’empêcher le supercapitalisme de prendre la politique en otage, établissant un juste équilibre entre les intérêts des consommateurs, des investisseurs, des citoyens, de la société. Pour lui, le supercapitalisme a définitivement rendu illusoire la promesse jamais tenue de la démocratie d’entreprise. L’entreprise résiste à tout ce qui pourrait avoir un impact négatif sur ses résultats, accorde peu de priorité à tout ce qui ne les conforte pas. L’entreprise ne peut pas faire de social sans imposer un coût supplémentaire aux consommateurs (prix) et investisseurs (rendements) qui iront voir ailleurs. L’entreprise a pour obsession de créer de la valeur pour l’actionnaire et non de pratiquer la vertu sociale. L’entreprise voit ses résultats attendus mesurés par le niveau du cours de l’action alors qu’aucun étalon ne mesure la façon dont elle sert les autres parties prenantes.

Robert Reich conclut son livre par un « guide du supercapitalisme à l’usage du citoyen » et par une dernière phrase digne d’Hannah Arendt. «La première étape, et souvent la plus difficile, est de penser juste ».

Considérant que la concurrence débridée, mère du supercapitalisme, s’est propagée à la sphère politique et que les entreprises ne sont pas des personnes mais des « collections d’accords contractuels », Robert Reich préconise de mettre en place une cloison étanche entre le capitalisme, qui optimise la satisfaction du consommateur et de l’investisseur et la démocratie qui permet d’atteindre collectivement des objectifs inatteignables individuellement. Si on veut que les entreprises jouent autrement, il faut modifier le jeu qu’elles jouent en en changeant les règles. La démocratie est le meilleur outil pour changer ces règles et pallier aux conséquences sociales désastreuses : enrichissement des plus riches, appauvrissement des plus pauvres, précarisation de l’emploi et des communautés locales, dégradation de l’environnement, violation des droits de l’homme, produits et services flattant nos instincts les plus bas. Loin de l’angélisme des technocrates et politiques européens, Reich considère que les entreprises ne sont pas faites pour décider de ce qui est socialement vertueux, et qu’elles sont incapables de délivrer efficacement des services qui par leur nature même sont publics. Pour lui, les législations américaines et européennes peuvent contrôler une partie importante du comportement des entreprises mondiales, plus efficacement que les appels à la responsabilité sociale.

Mettre les universités en déficit !

Le passage aux Responsabilités et compétences élargies ou comment mettre les universités en déficit

Si l’on en croit Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, qui s’exprimait lors d’une conférence de presse le 4 juin 2009, le passage des universités à l’autonomie, l’autre nom des Responsabilités et compétences élargies (RCE), constitue l’une des réformes «structurelles les plus importantes engagées par la France ces dernières années»… Devant le Sénat le 4 juillet 2007, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Mme Valérie Pécresse, la qualifiait de « socle même de la réforme du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Pour le dire autrement, le passage aux RCE, c’est toute la loi LRU et rien que la loi LRU, sa finalité mise à nue.

Alors que cette loi continue d’être contestée par la grande majorité des membres de la communauté universitaire, nombre de présidents continuent de célébrer le passage à l’autonomie de leurs établissements, souvent avec l’aide de journalistes complaisants qui voient là un moyen commode de fustiger l’archaïsme de l’ordre ancien et d’annoncer des lendemains qui chantent, célébrant chaque nouvelle année en dressant la liste des nouvelles universités autonomes, entrant de plain pied dans la modernité libérale. Claude Condé, président de l’université de Franche-Comté, s’est même fendu d’une brochure pour expliquer les changements. En une formule, il résume les enjeux des RCE pour les universités et les universitaires : « ce passage signifie avant tout un état d’esprit ».

L’expression est intéressante pour un changement qui, de prime abord, semble technique. Les RCE, c’est avant tout la gestion des ressources humaines et de la masse salariale allant avec, y compris celle des fonctionnaires d’État. Cette autonomie est toutefois encadrée. Le décret 2008-618 du 27 juin 2008 stipule en effet que « l’enveloppe consacrée à la masse salariale est assortie d’un plafond d’autorisation de l’ensemble des emplois rémunérés par l’établissement et d’un plafond d’emplois fixé par l’État relatif aux emplois financés par l’État ». En clair, il n’est pas question de créer de nouveaux fonctionnaires. En revanche, grâce à la LOLF, il est possible de redéployer les crédits entre les trois grandes enveloppes, personnel, fonctionnement et investissement. À ceci près, fongibilité asymétrique oblige, que celle des dépenses de personnel ne peut être abondée. Elle ne peut que diminuer…

Mais qu’on se rassure, cette nouvelle autonomie (L. 954-3) permet au président de recruter en CDD ou en CDI des emplois BIATOSS de catégorie A, ainsi que des enseignants, des chercheurs et des enseignants chercheurs ; après avis du comité de sélection, ce qui ne peut que rassurer… L’autonomie (L. 954-2), ce sont aussi les primes dont l’attribution est placée sous la responsabilité du président, prime d’excellence scientifique comprise, selon des règles définies par le conseil d’administration. Pour la ministre, qui elle aussi a fait réaliser une belle brochure pour vanter les mérites des universités autonomes, cette politique indemnitaire permettra de reconnaître l’engagement des personnels au sein de leur établissement. Au détail près, qu’aucune dotation complémentaire n’est prévue. L’autonomie consiste donc à imposer aux universités de redistribuer leurs ressources, appauvrissant les uns et enrichissant les autres, à instaurer une guerre permanente entre les personnels. Tout un état d’esprit…

Mais les joies de l’autonomie ne s’arrêtent pas là. Les RCE organisent en effet un transfert de charges dont les effets commencent à peine à se faire sentir. Désormais autonomes, les universités comptant moins de 6% de personnel handicapé doivent une « amende » renforcée aux FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique). Paris-Descartes versait 20 000 euros par an. À partir de 2010, le versement est de 400 000 euros, sans compensation prévue par l’État. Autre mauvaise surprise, le capital décès : « Lors d’un décès de l’un de nos personnels, l’université devra verser à sa veuve ou son veuf un an de salaire. Jusqu’à présent, c’était l’État qui le faisait pour les fonctionnaires. Ce capital décès, par nature très aléatoire et non prévisible, ne sera pas non plus compensé. Ou encore, le ministère part sur une base d’un GVT (glissement vieillesse technicité [changement d’échelon]) égal à zéro. Mais, selon les établissements, il pourra être positif ou négatif » (source dépêche AEF n° 104896 du 20/11/08). À cela, s’ajoute naturellement la certification des comptes, sans doute 100 000 euros annuels pour notre université (entre 80 000 et 200 000 euros pour l’université de Nantes), la paie à façon (c’est-à-dire la facturation de l’édition des bulletins de salaire)…

Bref, le gouvernement voudrait organiser les difficultés financières des universités qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Mais, objectera-t-on, ce passage aux responsabilités et compétences élargies ne pourrait-il pas constituer un encouragement à accroître les ressources propres des universités ? Pourquoi ne pas mettre en débat l’augmentation des droits d’inscription ? Au-delà du caractère scandaleux que représenterait une telle proposition, rappelons qu’ils représentent aujourd’hui 10% des recettes d’exploitation des universités et… que « leur montant est défalqué de la dotation globale de fonctionnement versé par l’État aux universités » (v. rapports Sénat n° 382, 10 juin 2008, p. 11 et Ass. Nat. n° 996, 25 juin 2008, p. 13). Il restera donc à aller séduire les collectivités territoriales et les entreprises privées, en espérant conserver notre liberté pédagogique et scientifique. Sans doute, à ce moment-là, examinerons-nous de façon différente les propositions qui ne manqueront pas de venir, comme celle que notre collègue Bernard Buron, directeur de l’UFR Arts et Sciences Humaines de l’université de Tours a reçu l’année dernière : « la Préfecture […] recherche des spécialistes, historiens par exemple, compétents pour participer aux débats sur le thème de l’identité nationale qui seront organisés à Tours, Loches et Chinon »…

Les conséquences des RCE ne se font du reste pas attendre. L’université de Limoges n’avait pas tardé à voter ce passage puisqu’elle figurait parmi les vingt premières, autonomes, le 1er janvier 2009. Enfin libre, cet établissement découvre avec stupeur l’année suivante qu’il a trop dépensé pour sa masse salariale. Jacques Fontanille, son président, a-t-il brutalement quintuplé les primes ? Bien sûr que non. Les effets du GVT ont simplement été mal évalués. En clair, il y a eu trop de promotion et d’ancienneté à Limoges. Et brutalement, 1,3 millions d’euros à trouver. Bon prince, le ministère en compensera… une partie seulement! Il a donc fallu trouver des marges de manœuvre. Gageons que le choix ne fut pas difficile. « Nous avons décidé de geler une dizaine d’emplois pendant un an et d’étaler sur un ou deux ans l’augmentation de l’indice indemnitaire négocié par les syndicats des personnels BIATOSS au niveau national » (source, Le Populaire, samedi 30 octobre). Le communiqué de l’intersyndicale locale ne s’y est pas trompé : « Ces décisions révèlent que le pilotage de l’université est en fait commandé par des facteurs extérieurs. L’autonomie en trompe-l’oeil consiste de la sorte à appliquer la politique de rigueur décidée au niveau gouvernemental ».

Gérées comme des entreprises, privées des ressources qui leur seraient nécessaires, les universités sont à présent sommées de payer plus pour chercher et enseigner moins. Car dans quels secteurs réaliser des économies, sinon dans celui de la recherche fondamentale en particulier en Lettres, Sciences Humaines et Sociales ? Comment équilibrer leur budget sans réduire l’offre de formation, en s’attaquant en priorité aux filières qui ne s’adapteront pas aux exigences du bassin d’emploi ? L’autonomie (les RCE) ou comment forcer les universités à trahir leurs missions fondamentales.

Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque à l’université Bordeaux 3

Médiapart, 2 novembre 2010