Archive dans 2 janvier 2009

La LRU et le travail des enseignants chercheurs: « Questions d’Ethique » de Jacques Broda

Ceci est la reproduction d’un texte de Jacques Broda, Professeur de Sociologie à l’Université de la Méditerranée:

 

« Questions d’Ethique »

 

La déferlante normative, destructrice de l’esprit de la recherche et de l’enseignement, nous oblige à la Résistance, et à une riposte éthique, sans précédent.
Ceux qui nous gouvernent, nous évaluent, nous gèrent, ignorent manifestement le réel, le concret, de l’enseignement et de la recherche. Ils ignorent ce qui pousse chacun d’entre nous à travailler, inventer, innover, chercher, publier, transmettre, gérer, questionner, chercher encore, trouver parfois, consulter toujours, entendre, écouter, les étudiants, partager, les collègues, les colloques, les articles, les rapports, les thèses, les directions de recherche, les programmes pédagogiques, les corrections.
Le travail réel est sans commune mesure avec le travail prescrit.
Nous faisons tous autre chose et autrement, que ce que nous devons, et c’est pour cela que ça marche, que nous inventons, que nous co-opérons, que nous créons, nous écrivons, dans la norme et hors norme, heureusement.
La recherche est immersion, questionnement dans le réel, dans sa prise, sa surprise, l’étonnement, et le tâtonnement, la découverte enfin, individuelle, collective toujours, la joie, le bonheur de la trouvaille, et de son annonce.
Tout cela échappe aux critères d’une évaluation et d’une normalisation catastrophiques quant à la liberté d’inventer.
Le Ministère et bien des Présidents élus, croient nous tenir avec le ‘fric’, on va donner plus à ceux qui publient plus, à ceux qui se plient aux normes de la gestion capitaliste. Car il s’agit d’une gestion quantitative capitaliste, qui applique à l’Université les normes qualité de l’entreprise, la rationalisation des choix budgétaires, l’avancement au mérite pour casser les solidarités, la participation-collaboration des plus asservis. D’aucuns pensent que notre motivation c’est l’argent, la carrière, le pouvoir, ils manient la carotte et le bâton, pour faire avancer le troupeau des enseignants-chercheurs.
Mais la recherche et l’enseignement, c’est tout l’opposé, c’est la solidarité, la co-opération, le partage, le don, la transmission, l’engagement, la liberté, la liberté.
Comment peut-on imaginer une recherche sans liberté, sans indépendance, sans but de pouvoir, et de course au mérite ? Comment définir des revues, avec des comités de rédaction limités, sélectionnés, par qui ? Et laisser choir des pans entiers de créativité, d’inventivité hors champ de la concurrence et de la compétition acharnée.
Face à cette entreprise de destruction massive de l’éthique de l’EC, nous devons répondre par une exigence éthique supérieure. Pour l’enseignement supérieur une éthique supérieure, celle qui nous oblige dans le quotidien à bien faire notre travail, dans des conditions souvent difficiles, à être proches des étudiants, étrangement absents de tout le système d’évaluation, comme s’ils n’étaient pas les premiers usagers.
Des étudiants en santé, bien formés, écoutés, aidés, insérés, épanouis, ne figureront jamais dans le classement de Shanghai, ni dans les normes actuelles. Et pourtant, ils sont l’avenir, le but, et l’essence de nos actes. Certains vont même jusqu’à dire que nous sommes des éducateurs !
Nous voulons être appréciés, et non évalués. On n’est pas des minots.
On revendique le droit à participer aux critères et aux philosophies de l’appréciation,  et à en contester les résultats, et nous voulons faire du temps d’appréciation le temps de co-construction d’un projet dynamique, inventif, en co-opération, un engagement souple, concret de nos activités, humain, efficace.
Appréciés oui, évalués non !
Nous sommes ici à l’opposé du décret, de la loi L.R.U, mais nous sommes dans le réel de notre travail complexe, riche, permanent. Il est 20 heures, un Dimanche de Décembre, je travaille donc je suis. Combien d’heures les enseignants-chercheurs passent-ils à domicile, dans les labos, sur les terrains, dimanches compris, si l’on totalisait le nombre d’heures de ce travail invisible on serait ahuri !!!
Oui, nous avons réinventé le travail à domicile, oui nous travaillons parfois plus de cinquante heures par semaine, oui nous aimons chercher, enseigner, trouver, transmettre !
Oui, nous ne le faisons pas pour du fric, mais parce que nous avons une éthique, un désir, une volonté, autour du savoir, de la connaissance, de l’éducation, tout ce qui ne s’évalue pas, et qui échappe à la folie quantitative.
De nombreux collègues n’ont pas vu venir le coup, dont la loi L.R.U est l’avant goût, ils se sont pliés, ou ont adopté une politique de l’autruche. Aujourd’hui la révolte gronde, les étudiants manifestent, des collègues se jettent dans la grève administrative, des instituteurs entrent en désobéissance civile. N’y aurait-il pas quelques intérêts à unifier ces luttes qui ont pour fil rouge, le vol de l’éthique.
Les enseignants-chercheurs sont portés par des valeurs, ils portent des valeurs, ils en créent, ils ont donné, ils donnent à la civilisation et au travail, ce que l’homme peut donner de meilleur à l’autre homme : le savoir. Ce savoir, cette connaissance, ne s’achètent pas, ne s’évaluent pas, ils s’apprécient, se goûtent, s’épanouissent dans la sphère infinies des humanités.
Loin de tous les corporatismes et replis sectaires, j’en appelle à l’unité, à l’unification de nos revendications et de nos propositions, en alliance avec tout le secteur de l’enseignement, comme service public, ‘signifiant’ ô combien actuel quand il nous ramène au sens social de nos engagements, au sens personnel de nos désirs, au sens humain de notre travail. »

Jacques Broda
Professeur de Sociologie à l’Université de la Méditerranée